XVIIe -XVIIIe siècles
De Ben Jonson à Patrick Chamoiseau, en passant par le marquis de Sade et Augusto Roa Bastos, nombreux sont les écrivains qui ont orné leurs textes de notes marginales. Depuis la Renaissance, romanciers, dramaturges, quelques poètes ont fait de l’annotation un dispositif stratégique censé afficher une orthodoxie – réelle ou feinte –, contrôler la réception du texte, voire marquer une dissidence à l’égard des discours dominants. Mais les enjeux de cette « prose notulaire » (Jean-Paul Richter) où s’objectivent à la fois un rapport à la tradition et une position idéologique, varient sensiblement du drame baroque allemand (Gryphius, Lohenstein) à la satire de l’érudition chère à Swift, de la fiction historique du XIXe siècle (Scott, Vigny) aux romans d’avant-garde comme House of leaves de Marc Danielewski.
Pour la première fois, les différents modèles de l’annotation littéraire, leurs filiations et leurs discontinuités, font l’objet d’une vaste enquête comparatiste qui en analyse la prolifération entre le XVIIe et le début du XIXe siècle, puis l’obsolescence et, enfin, la palingénésie contemporaine. La démarche adoptée par Andréas Pfersmann associe constamment les conditions historiques de production des oeuvres et les problèmes théoriques sous-jacents tels que le statut de la fiction. Il en ressort que les marges de la page imprimée apparaissent comme un lieu éminemment politique où la « fonction auteur » (Foucault) ne cesse d’être redéfinie, dans ses rapports complexes avec le texte, le champ littéraire, le public et l’infléchissement de la lecture.
C’est en 1675 que paraît la première édition de ce qui deviendra un véritable best-seller du droit des marchands : Le Parfait Négociant de Jacques Savary. Remarquable par le nombre des questions envisagées, il dépasse par son ampleur thématique les ouvrages habituellement destinés aux personnes s’adonnant à des professions mercantiles. Y sont notamment traités : la lettre de change, les sociétés et les grandes compagnies privilégiées, la faillite, les courtiers, les commissionnaires, les négociants en détail ou en gros, les poids et mesures, la comptabilité, les juridictions consulaires, le droit du travail, les marchés, en France mais aussi en Europe et dans le monde… L’ouvrage sera maintes fois réédité, ce qui prouve son succès.
Fin dans son analyse juridique des acteurs et des outils du commerce – lois, règlements, jurisprudence –, Le Parfait Négociant ouvre, dès le premier tome, le débat sur l’homme, revendiquant une vocation didactique et posant des éléments d’éthique. On n’y oublie jamais, Dieu aidant, que « le succès ne peut être heureux quand la fin n’est pas juste ». Les amateurs de cas pratiques trouveront ensuite moult informations dans les Parères (consultations), qui constituent l’objet du second.
Edouard Richard, avec la collaboration de Thierry Hamon, donne du Parfait Négociant une édition corrigée et en modernise le texte. Renseigné d’un commentaire introductif de plus de cent pages et de pistes bibliographiques, le lecteur trouvera de nombreuses annexes explicatives et un index, entièrement refondu, liant commodément les deux tomes de l’édition originale. Juristes, mais aussi économistes, historiens, géographes, comptables et gens curieux du passé trouveront matière à plonger dans une histoire du droit des affaires, somme toute très actuelle par ses enseignements sur le mercantilisme.
Continuation succincte du Tristan en prose, s’inscrivant dans l’intervalle qui va de la naissance de Tristan au remariage de Méliadus avec la fille du roi Hoël, le Roman de Meliadus (1235-1240) est une œuvre demeurée ouverte, en raison de son inachèvement autant que par le dialogue constant qu’il instaure avec les autres romans arthuriens. S’il revendique sa filiation et assume son statut de récit puîné, les réminiscences qu’il exhibe masquent aussi les gauchissements, les infléchissements qui lui permettent de faire du neuf avec du vieux. C’est ce jeu que Barbara Wahlen étudie et montre à voir, non seulement dans le Roman de Meliadus proprement dit, mais également dans trois de ses relectures, qui actualisent et renouvellent la signification du roman en profondeur. La première est une continuation de la toute fin du XIIIe ou du début du XIVe siècle qui est aujourd’hui conservée par le seul manuscrit Ferrell 5. La deuxième actualisation retenue est celle qu’offre Meliadus de Leonnoys, l’imprimé publié en 1528 par Galliot du Pré, fruit d’un minutieux travail de découpage et de remontage. La dernière enfin est l’extrait paru en 1776 dans la Bibliothèque Universelle des Romans.
Au XVIIe siècle, naît à Anvers, aux Pays-Bas catholiques, une entreprise dédiée exclusivement à l'hagiographie: celle des Bollandistes, qui lancent la grande collection des Acta Sanctorum, dont les deux premiers tomes paraissent en 1643. Peu après, la Congrégation de Saint-Maur, dont Jean Mabillon est l'un des plus célèbres représentants, commence un travail similaire à propos des saints bénédictins. Points communs à ces deux entreprises: une attention primordiale accordée aux sources et une critique rigoureuse de ces sources. Pareille démarche n'est cependant pas toujours bien reçue du monde savant, car cela met souvent à mal de vénérables traditions. Cas emblématique: en 1675, les Bollandistes mettent en doute la fondation des Carmes par le prophète Elie, ce qui leur vaudra d'être condamnés par l'Inquisition espagnole.
Au siècle suivant, qui verra notamment la disparition du bollandisme, avec des chercheurs tels que Adrien Baillet, Jean Lebeuf, Claude Chastelain, l'érudition proprement dite prendra le pas, plus soucieuse d'établir des faits et moins attentive à l'édition des textes.
Bernard Joassart (1954-), jésuite, est membre de la Société des Bollandistes depuis 1900 et enseigne l'histoire contemporaine de l'Église à l'Institut d'études théologiques (Bruxelles). Ses publications concernent principalement le modernisme, l'histoire de l'érudition des XVIIe-XXe siècles, et celle du bollandisme.
Diderot today : literature, philosophy and aesthetics – A. Deneys-Tunney, « Presentation » ; M. Dobie, « Going Global : Diderot, 1770-1784 » ; A. H. Clark, « The Changing Landscape of Genius in Diderot’s Neveu de Rameau » ; J. Candler Hayes, « Aspects du style tardif dans l’Essai sur les règnes de Claude et de Néron » ; J. Stalnaker, « Diderot’s Literary Testament » ; L. Nouis, « Diderot et son frère » ; P. Saint-Amand, « Diderot’s Dressing Gown : The Philosopher in the Cabinet » ; A. Deneys-Tunney, « The Novel, Philosophy and Obscenity in Diderot’s Les bijoux indiscrets » – Diderot dans le miroir de ses images – E. Puisais et P. Quintili « Présentation » ; P. -F. Daled, « L’image de Denis Diderot dans l’historiographie philosophique française du début du XIXe siècle : un ‘‘éclectique moderne’’ » ; R. Rousson, « Elme-Marie Caro : un philosophe spiritualiste lecteur de Diderot » ; P. Quintili, « La réception de Diderot en Italie aux XIXe et XXe siècles : les avatars d’un long oubli » ; L. Perret-Truchot, « Diderot dans l’enseignement des lettres du secondaire de 1800 à 2000 » ; A. Saada , « Diderot en Allemagne au XIXe siècle » ; E. Gatefin, « Postures fluctuantes de la critique diderotienne de Sainte-Beuve à Lanson » ; P. Pellerin, « Images de Diderot sous l’occupation allemande » ; E. Puisais, « Lénine lecteur de Diderot ? » – Miscellaneous articles – T. Belleguic, « Evoquer les ombres : dialogues anthumes d’un philosophe ou portrait de Diderot en voyageur sentimental » ; J. -L. Martine, « Art, machine et magi dans l’Essai sur la peinture » ; N. Manceau, « De la critique d’art à la collection : Baillet de Saint-Julien ou le parcours d’un amateur » ; P. Casini, « D’Alembert et l’Italie ».
Que se passe-t-il pendant un monologue d’Hamlet ou pendant les stances de Rodrigue ? Que fait un personnage une fois seul en scène ? En considérant le vaste champ du théâtre européen au seuil de la modernité, ce livre propose une approche inédite de ces questions. Car le monologue a une histoire et la fin de la Renaissance et l’âge baroque en est l’un des épisodes fondateurs. Des œuvres théâtrales aux traités théoriques et aux dictionnaires, il s’affirme comme un procédé dramatique spécifique, avec ses formes et ses enjeux propres. Reconstituer la poétique du monologue baroque, en tenant compte des principes esthétiques qui en régissent la composition et des modalités concrètes de la représentation, conduit à remettre en question le caractère anti-dramatique souvent associé à la forme monologuée : loin d’être nécessairement une pause dans l’action, cette convention énonciative construit le rapport du spectateur à la fiction, dessine la topographie scénique et se donne comme un vecteur essentiel de l’efficacité dramatique. Surtout, le monologue devient alors un point d’ancrage d’une nouvelle dramaturgie de l’intériorité : non pas sur le mode de la révélation ou de l’expression sans médiation d’un « moi », mais sur celui de la dramatisation d’une identité ou de la représentation d’une subjectivité en acte. Au prisme de ce déplacement des termes de l’analyse, l’histoire de la représentation théâtrale rejoint une histoire des représentations et reprend à nouveaux frais la question du sujet moderne.
Les Mémoires de Benjamin Aubery, sieur du Maurier, présentent une double originalité. Ils sont le fruit d’un homme qui, au sortir des guerres de Religion, consacra sa vie à servir le roi de France, d’abord dans l’administration des finances puis dans la diplomatie. D’abord proche de Duplessis-Mornay puis au service du duc de Bouillon, il se rapprocha de Sully avant d’être nommé ambassadeur par Louis XIII. Son ambassade aux Provinces-Unies (1613-1624), point d’orgue de sa carrière, fut délicate en raison de la fragilité du pouvoir royal, des hésitations de la diplomatie française et des troubles politico-religieux à La Haye. L’étude de son action, à travers ses dépêches diplomatiques, démontre cependant la lente sécularisation des relations internationales et confirme le rôle essentiel des Provinces-Unies dans la diplomatie française du début du XVIIe siècle. Mais les Mémoires de Benjamin Aubery nous présentent également le parcours d’un homme et d’un père de famille qui préféra toujours sa foi à sa carrière : protestant fervent, il refusa toute sa vie de se convertir et réussit à concilier identité réformée et fidélité inébranlable au roi. Dans ses Mémoires, qu’il destinait à ses enfants, Du Maurier dresse enfin le portrait d’une société française en pleine mutation politique et sociale, de la Ligue à l’accession au pouvoir de Richelieu.